Par Ewen MIQUEL & Nicolas TRIOMPHE KAMATEMBU, le 02/05/2025.

Depuis le dimanche 13 avril dernier et pour la première fois depuis le 2 décembre 19671, ce n’est plus un membre de la famille Bongo qui dirige le Gabon. Selon des chiffres provisoires du ministère de l’Intérieur, c’est le général Brice Clotaire Oligui Nguema qui a été élu à la tête de l’État avec 94,85% des voix. Une élection aux allures de plébiscite, donc, pour celui qui a participé au renversement d’Ali Bongo Ondimba le 30 août 2023.

Salué pour son calme et sa relative transparence, devenus inhabituels pour le pays, ce scrutin cristallise les espoirs d’un peuple dont la volonté de rupture avec une histoire marquée par 56 années de pouvoir du clan Bongo est clairement affichée. Cependant, l’héritage des Bongo est encore très présent au sein de la société gabonaise. Le nouveau Président saura-t-il insuffler un renouveau pour le pays ?

1.     Contexte de la transition politique

Le 23 août 2023, à l’instar des voisins maliens, nigériens ou encore tchadiens, suite à un nouveau scrutin émaillé de violences, de corruption, et de coupures des réseaux de communication, un groupe de militaires s’empare du pouvoir au Gabon et rend caduque le résultat des élections. Un Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI) est instauré, et c’est le général Brice Clotaire Oligui Nguema qui est placé à sa tête. Depuis, il a clairement affiché sa volonté d’effacer l’héritage laissé par le clan Bongo.

Aussi, il avait promis de rendre le pouvoir à la population civile. Il a ainsi été plébiscité lors de l’élection du 13 avril dernier, qui marque une rupture avec les précédents scrutins. Selon Christian Éboulé, les frontières sont restées ouvertes, les médias – y compris étrangers – ont pu filmer les opérations de dépouillement, et le taux de participation, relativement élevé, témoigne d’un engagement civique notable. Lynda Nzah Bekale, porte-parole du Réseau des observateurs citoyens (ROC) gabonais, explique que le processus électoral s’est déroulé de manière globalement satisfaisante, et la population a pu exprimer sereinement sa volonté de changement.

Cet apaisement tranche ainsi radicalement avec le contexte d’oppression de la population gabonaise qui prévalait sous le régime Bongo. Depuis la mort d’Omar Bongo en 2009 et l’arrivée de son fils Ali au pouvoir, le pays s’était enfoncé dans une crise économique et sociale profonde, malgré des ressources pétrolières, minières et forestières abondantes 2. Coupures d’électricité, dégradation des infrastructures, dette publique galopante (80% du PIB estimé pour 2025 contre 73,3% en 2025), services publics exsangues, et surtout un chômage massif touchant près de 40% des jeunes et jusqu’à 60% en milieu rural: autant de symptômes d’un système à bout de souffle.

1 Date de l’élection d’Omar Bongo Ondimba à la tête du Gabon. Son fils, Ali Bongo, lui succèdera le 16 octobre 2009 après sa mort en juin 2009.

2 Le Gabon est le 4e producteur de pétrole d’Afrique sub-saharienne et le 2e producteur mondial de manganèse (BPI France).

2.L’ambition de Brice Clotaire Oligui Nguema: entre héritage militaire et réformes nécessaires

L’élection de C’BON3 est pour le moins surprenante: ancien aide de camp d’Omar Bongo, il a également été chef de la Garde républicaine sous Ali Bongo (TV5 Monde, Le Monde). Cette proximité avec le clan Bongo suscite de la méfiance, et cela n’a pas manqué d’être rappelé par son opposant le plus sérieux lors du scrutin, Alain-Claude Bilie By Nze, pourtant lui-même Premier Ministre sous Ali Bongo. Pour ce dernier, Brice Oligui Nguéma incarne le prolongement d’un système qu’il prétend avoir renversé. Et pour cause, deux anciens piliers du Parti Démocratique Gabonais – parti de la famille Bongo – ont figuré parmi les huit candidats à la présidentielle, renforçant ainsi la perception d’une transition sous contrôle.

Pourtant, le nouveau Président déploie depuis son arrivée une stratégie de communication centrée sur la rupture et la reconstruction. Sa plateforme, le Rassemblement des Bâtisseurs, martèle les succès des 19 mois de transition, qu’elle estime plus productifs que les décennies de régne de ses précédesseurs. Oligui Nguéma se présente comme un “bâtisseur de la nation” (Le Monde), inaugurant routes, écoles, casernes et équipements publics. Il a également lancé quelques mesures sociales: distribution de taxis et scooters, baisse des prix de première nécessité, paiement des pensions en retard, et incitations à la création d’entreprises. Autant d’initiatives qui visent à adresser les frustrations sociales dans un pays où un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté.

À l’origine de cette séquence, comme souligné plus haut, le coup d’État du 23 août 2023. Celui qui est alors placé à la tête du CTRI, justifie son action par la volonté de restaurer la dignité du peuple gabonais. Formé à l’académie militaire du Maroc, fort de 28 ans de carrière, il se présente comme un homme de foi et de conviction plus que comme un tribun. Son élection, censée marquer le retour du pouvoir aux civils, n’en demeure pas moins issue d’un processus balisé par l’armée, à travers un code électoral et une Constitution taillés, selon certains observateurs, pour favoriser une transition pilotée par les militaires.

Le calme qui a prévalu lors des élections ne dissipe pas entièrement les soupçons de continuité de l’ancien régime: au-delà des formes, c’est la sincérité de la rupture qui est interrogée. Pour autant, quelles sont les perspectives nationales et internationales offertes par ce nouveau Président?

3.     Une vision ambitieuse

La tâche qui attend Oligui Nguema est ardue. Si le Gabon est un pays riche en ressources, il reste fortement dépendant des cours des hydrocarbures et des minerais. Ainsi, la baisse des cours internationaux ces derniers mois a aggravé les déséquilibres budgétaires. À cela s’ajoute une chute de la production pétrolière gabonaise, 50% en trente ans. Oligui Nguema tente ainsi d’endiguer cette tendance en reprenant, par exemple, les actifs de la société américaine Carlyle, esquissant une forme de nationalisation du secteur stratégique, selon Benjamin Augé.

Sur la scène internationale, contrairement à d’autres transitions militaires sur le continent, comme celles de l’Alliance des États du Sahel (AES), le Président n’entend rompre, pour le moment, ni avec la France, ni totalement avec l’ancienne élite politique (Le Monde). Il s’est en effet rendu à quatre

3 Slogan de la campagne présidentielle lié aux initatiles de Brice Clotaire Oligui Nguema

reprises à Paris, entretient des liens diplomatiques maintenus, et revendique une attache à l’héritage du Général de Gaulle. Une posture qui vise à ne pas heurter les aspirations souverainistes d’une partie de la jeunesse africaine tout en rassurant l’Occident.

Ainsi, la transition gabonaise a ceci de singulier qu’elle ménage à la fois les formes démocratiques et les ressorts d’un pouvoir centralisé. Oligui Nguema a su incarner un récit de renaissance, en s’appuyant sur des gestes forts et une rhétorique volontariste. Mais le défi reste immense: réforme de l’État, lutte contre la corruption, relance économique, amélioration des conditions de vie, etc. Le fossé entre attentes populaires et capacités structurelles risque de s’élargir à mesure que l’euphorie du changement s’estompe. Ainsi, Brice Oligui Nguema saura-t-il transformer son plébiscite en véritable projet politique de long terme, ou assistera-t-on à une nouvelle confiscation du pouvoir sous des habits neufs ?

4.    Un contexte économique hérité : une dépendance structurelle aux matières premières

À la veille de l’arrivée au pouvoir de Brice Clotaire Oligui Nguema en 2023, le Gabon présentait une économie caractérisée par une forte dépendance au secteur pétrolier, qui représente environ 80 % des exportations et près de 45 % du PIB, ainsi le pays se classait comme quatrième producteur de pétrole d’Afrique sub-saharienne (2024), premier producteur mondial de manganèse (2024) et parmi les principaux producteurs de bois tropicaux du continent. Cette mono-dépendance expose le pays à une vulnérabilité accrue face aux fluctuations des cours mondiaux du pétrole4. Malgré les discours récurrents en faveur de la diversification, les réformes structurelles sont restées embryonnaires face à une économie globalement rentière et non prometteuse de l’avenir pour la société gabonaise.

Le tissu industriel gabonais demeure peu développé et majoritairement ancré sur des activités d’extraction (manganèse, bois), sans réelle intégration locale ni montée en gamme dans la chaîne de valeur nationale. Le secteur agricole, quant à lui, reste marginalisé alors qu’il pourrait constituer un levier significatif de croissance inclusive et de sécurité alimentaire. Car avec une réserve importante de terres arables (5,2 millions d’hectares) et un climat propice à l’activité agricole (pluviométrie annuelle de 1450 à 4 000 mm), le Gabon présente d’importants atouts naturels pour le développement de la production agricole. Pour l’heure, celle-ci ne contribue que marginalement à la croissance (3,8% du PIB). Dans les faits, la contribution de l’agriculture à la formation du PIB gabonais a progressivement décliné au cours des dernières décennies, suite à la découverte et l’exploitation des ressources pétrolières. La dépendance du Gabon vis-à-vis de l’extérieur en denrées alimentaires est aujourd’hui une préoccupation majeure5.

Cette différence avec d’autres pays de la région dont la part de l’agriculture dans le PIB est bien supérieure (Cameroun en particulier) s’explique par des facteurs de production limités induisant une faible compétitivité des productions locales parmi lesquels : une population rurale peu nombreuse (14%), un système foncier défavorable à un accès sécurisé à la terre, le coût de la main d’œuvre (et le manque d’attractivité des jeunes pour la profession), un manque d’infrastructures de commercialisation et de transformation, et de financements. Les différentes politiques ou programmes

4 CEMAC_Gabon_2023
5BPIFrance, Fiche pays Gabon
https://www.bpifrance.fr/sites/default/files/2025-01/Fiche%20pays%20Gabon%20DECEMBRE%2020 24%20%281%29.pdf

mis en œuvre par l’Etat ont privilégié, de surcroit, le développement de l’agro-industrie à base de matières premières importées, au détriment de l’agriculture paysanne. Les importations fournissent aujourd’hui environ 60% des biens alimentaires consommés au Gabon, la demande du marché demeurant grandissante.

En ce qui concerne le climat des affaires, ce dernier a longtemps été perçu comme peu favorable aux investissements privés, du fait d’un environnement institutionnel marqué par l’opacité, la corruption et une justice économique peu indépendante.

La France et la Chine sont les deux principaux fournisseurs du Gabon, représentant respectivement 14

% et 15 % des importations gabonaises en 2023. Selon le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, 92 entreprises françaises sont établies au Gabon, générant environ 14 000 emplois. Le groupe singapourien Olam est devenu, depuis les années 2010, un partenaire majeur du gouvernement gabonais : il a investi près de 2 milliards d’euros au Gabon dans le secteur agroalimentaire et les infrastructures, et s’est vu confier la gestion de la zone économique spéciale de Nkok à la suite d’un partenariat public-privé. Ces échanges internationaux démontrent la force de frappe du Gabon vis-à-vis du marché international et méritent un assainissement total pour une croissance économique assurée et un développement effectif du pays6.

5.Une   nouvelle gouvernance politique porteuse d’espoir pour les réformes économiques

L’accession au pouvoir de Brice Clotaire Oligui Nguema s’inscrit dans une logique de rupture, affichée tant sur le plan symbolique que programmatique. Le nouveau président a annoncé sa volonté de restaurer l’État de droit, de rationaliser les finances publiques et de renforcer la transparence dans la gestion des ressources. Ces déclarations traduisent une intention de rompre avec les pratiques de prédation économique qui ont longtemps grevé les capacités de développement du pays. « Le fléau de la corruption et l’inefficience de l’administration constituent deux des principaux freins au développement du Gabon. Trop de ressources publiques sont mal allouées ou dilapidées, une situation qui mine la confiance des citoyens dans les institutions et décourage les investisseurs. Ce constat nous impose d’entreprendre des réformes ambitieuses pour instaurer une culture de la transparence et de la redevabilité7 » Cet passage du projet de société de Brice Clautaire Olingi Ngema laisse à espérer un engagement sans compromis pour restaurer la confiance des gabonais dans l’appareil de l’Etat et un souci de faire table rase du modèle de gouvernance autres fois manifeste.

L’une des premières mesures notables a été l’audit des entreprises publiques et parapubliques, souvent gangrenées par une mauvaise gouvernance et une inefficacité chronique. En parallèle, la transition politique a été accompagnée de signaux favorables à la relance du dialogue avec les partenaires internationaux, notamment les institutions de Bretton Woods, en vue de rétablir la confiance et de faciliter l’accès aux financements extérieurs nécessaires à la relance. Cependant, la réussite de cette gouvernance renouvelée repose sur la capacité du régime à instaurer une stabilité politique pérenne, à

6 Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Le secteur agricole au Gabon, https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/GA/le-secteur-agricole-au-gabon
7 Droit et Politique en Afrique,
https://droit-et-politique-en-afrique.info/wp-content/uploads/2025/03/Projet-de-societe-de-Brice-Clotair e-Oligui-Nguema-a-lelection-presidentielle-de-2025.pdf

garantir des libertés économiques fondamentales et à associer l’ensemble des forces vives du pays dans une démarche inclusive.

6.     Les    axes    prioritaires    pour    une    transformation          économique structurelle du Gabon

Pour garantir une transformation économique viable et durable, plusieurs axes prioritaires se dessinent. En premier lieu, la diversification économique apparaît comme une nécessité stratégique. Le développement du secteur agricole (agro-industrie, filières vivrières, agriculture durable) pourrait permettre à la fois de résorber le chômage, particulièrement chez les jeunes, et de réduire la dépendance alimentaire.

En second lieu, la mise en place de politiques industrielles ambitieuses orientées vers la transformation locale des ressources, notamment le bois, le manganèse et le pétrole permettrait de créer de la valeur ajoutée et de renforcer la compétitivité de l’économie gabonaise sur le marché régional. Le soutien à l’entrepreneuriat local et aux PME, associé à une réforme en profondeur de l’environnement juridique des affaires, est également un levier crucial pour stimuler l’investissement privé.

Enfin, l’investissement dans le capital humain, à travers une réforme du système éducatif et de la formation professionnelle, est une condition sine qua non de l’émergence économique. L’alignement des compétences formées avec les besoins du marché et les priorités de développement permettra de résorber le décalage structurel entre l’offre et la demande de travail.

Sources:

–        Ministère de l’Intérieur du Gabon:

https://www.interieur.gouv.ga/9-actualites/682-resultats-provisoires-consolides-de-lele ction-presidentielle/

–        TV5 Monde (Christian Éboulé): Gabon: un plébiscite pour le président de la transition Brice Clotaire Oligui Nguema:

https://information.tv5monde.com/afrique/gabon-un-plebiscite-pour-le-president-de-la

-transition-brice-clotaire-oligui-nguema-2770012

–        BPIFrance, Fiche pays Gabon:

https://www.bpifrance.fr/sites/default/files/2025-01/Fiche%20pays%20Gabon%20DE CEMBRE%202024%20%281%29.pdf

–        TV5 Monde: Qui est Brice Clotaire Oligui Nguema, le général putschiste élu président du Gabon pour 7 ans?:

https://information.tv5monde.com/afrique/qui-est-brice-clotaire-oligui-nguema-le-gene ral-putschiste-elu-president-du-gabon-pour-7

–        CEMAC_Gabon_2023:

chrome-extension://efaidnbmnnnibpcajpcglclefindmkaj/https://www.beac.int/wp-conte nt/uploads/2024/08/RAPPORT-ANNUEL-BEAC-2023-08-08-24_compressed.pdf

– Droit et Politique en Afrique:

https://droit-et-politique-en-afrique.info/wp-content/uploads/2025/03/Projet-de-societe

-de-Brice-Clotaire-Oligui-Nguema-a-lelection-presidentielle-de-2025.pdf

 

            © Notes du think tank Horizon Afrique

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