Par Sadock MATHE SEMENGO

Au fil du temps, le Qatar devient l’un des pays du Moyen-Orient les plus importants sur la scène internationale. Cela est particulièrement visible à travers ses financements multisectoriels dans le domaine industriel, sportif, financier, etc. A titre d’exemple en 2022, le Qatar a été l’hôte de la 22ème édition de la coupe du monde de football. De plus, le Qatar est aujourd’hui un endroit idéal où se déroulent plusieurs rencontres diplomatiques, en raison de sa position, que l’on pourrait qualifier de « pays de diplomatie émergente ». Ainsi, ce 18 mars, Doha a accueilli une rencontre diplomatique entre le président congolais Félix Tshisekedi et le président rwandais Paul Kagame. Grâce à la présence d’un médiateur neutre, cette rencontre diplomatique a facilité les échanges entre les deux présidents dans le but de rechercher une issue durable et favorable à la résolution des tensions sécuritaires dans la région du Kivu. Cet article cherche à répondre à la question « comment le Qatar, un médiateur neutre peut-il contribuer à la résolution des tensions entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda ? ».

Focus et rappel sur le conflit du Kivu en République Démocratique du Congo

Depuis le mois de novembre 2021, les rebelles du M23, une rébellion soutenue par le Rwanda selon plusieurs sources de l’ONU, ont tenté de multiplier les attaques contre les FARDC (Forces Armées de la République Démocratique du Congo). Ainsi, au mois de janvier 2025, les rebelles du M23 ont pris possession de certaines villes et localités congolaises situées dans la région du Kivu, notamment Goma, Bunagana, Bukavu, Masisi…, autant d’entités du Kivu qui sont sous leur occupation. Cette situation préoccupante a causé d’énormes dégâts humanitaires. En effet, selon le rapport de la direction internationale pour les migrations (DIM), depuis le mois de janvier 2024, les combats opposant les rebelles du M23 contre les FARDC et alliés ont causé plus de 3 000 morts et plus de 500 000 déplacés. Par ailleurs, depuis la réapparition du mouvement M23 à novembre 2021, plusieurs initiatives africaines ont été mises en place afin de stopper ce conflit qui met à mal le développement dans la région des grands-lacs. 

La communauté d’Afrique de l’Est (CAE), la communauté de développement d’Afrique Australe (SADC) et le processus de Luanda comme leviers pour stopper cette résurgence des Rebelles M23

a). La communauté d’Afrique de l’Est (CAE)

Depuis l’année 2022, la CAE a mis en place plusieurs initiatives de médiation diplomatique notamment au Kenya et à Dar es Salam (Tanzanie). Cela a même abouti au déploiement d’une force régionale appelée “East African community Regional Force”, EACRF. Cette force régionale a été déployée en RDC avec pour objectif de faciliter le retrait des troupes rebelles du M23 pour ainsi appuyer et encourager les efforts de Paix dans la région du Kivu. Cette initiative n’a pas produit un résultat efficace pour la résolution du conflit et n’a pas favorisé le retrait des rebelles M23. Face à cette inefficacité, la CAE, présidée actuellement par le président kényan William Ruto, a décidé de retirer cette force régionale des régions congolaises dès le mois de décembre 2023. 

b). La communauté de développement d’Afrique Australe (SADC) 

Face à la détérioration de la situation sécuritaire en république démocratique du Congo, la SADC a à son tour déployé une force militaire dans la région du Kivu pour venir en appui aux FARDC et la milice gouvernementale “Wazalendu” qui représente la réserve militaire en RDC.  Ce contingent de la SADC appelé “Mission de la communauté de l’Afrique Australe en République Démocratique du Congo, SAMIDRC”, était constitué par les soldats sud-africains, Tanzaniens et Malawites. C’est depuis le mois de janvier 2024 que cette force existe dans la région du Kivu en menant des actions d’interopérabilité militaire avec les FARDC pour tenter de neutraliser les rebelles du M23 et ainsi contribuer à la protection de l’intégrité territoriale de la république démocratique du Congo. Lors de la récente prise de la ville Goma, à ce mois de janvier 2025, 13 soldats sud-africains issus de cette force de la SADC “SAMIDRC” ont perdu la vie dans les combats entre les rebelles du M23 et les FARDC aux côtés de leurs alliés en défendant les intérêts vitaux de la RDC sur le territoire Congolais. Aujourd’hui, plusieurs sources locales confirment un retrait progressif de ces troupes de la SADC en laissant place au processus de Luanda qui se veut d’un lieu de dialogue entre les parties prenantes à ce conflit régional, qui oppose la république démocratique du Congo aux rebelles du M23 considérés comme les pantins du Rwanda selon le gouvernement congolais.

c). Le processus de Luanda

Lancé depuis 2022 sous la médiation de l’Angola, ce cadre de négociation vise à désamorcer les tensions entre la république démocratique du Congo et le Rwanda. Au mois de février 2024, un nouveau sommet à Luanda a appelé à un cessez-le-feu immédiat en RDC et au retrait des toutes les forces étrangères qui se retrouvent sur le territoire congolais notamment les rebelles du M23. Pour le moment, ces accords souffrent d’une grande fragilité et ils restent sans application. Cela est lié au manque d’engagement entre les deux parties prenantes dont le gouvernement Congolais et les rebelles du M23. Dans cette optique, d’autres pourparlers similaires dans ce processus de Luanda ont connu d’échecs. C’est par exemple l’annulation d’une rencontre en ce mois de mars 2025 à Luanda. Cette rencontre devrait réunir l’élite diplomatique congolaise et certains leaders du Mouvement M23 dont l’Angola a convoqué officiellement en envoyant une invitation à monsieur Bertrand BISIMWA, l’un des cadres de la rébellion AFC-M23, (AFC-M23=Alliance Fleuve Congo-Mouvement du M23, Une alliance née de la fusion de l’Alliance Fleuve Congo dirigée par Corneille NANGAA, ancien président de la commission nationale électorale Congolaise devenu chef rebelle, et le mouvement M23). Ce serait la première négociation directe entre les rebelles du M23 et le gouvernement Congolais. Quelques jours avant la rencontre, le gouvernement congolais a, quant à lui, refusé de participer à cette rencontre car considérant les rebelles du M23 comme supplétifs du Rwanda et donc exigeant directement les négociations diplomatiques qu’avec le Rwanda et non les rebelles.

Une rencontre surprise et inattendue ce 18 mars entre le président Congolais Félix Tshisekedi et le président Rwandais Paul KAGAME

Ce mardi 18 mars 2025, s’est tenue une rencontre diplomatique au Qatar entre le président Félix Tshisekedi et le président Paul Kagame. En effet, cette rencontre se traduirait par la volonté du président congolais de pouvoir discuter directement avec le président Rwandais qu’il considère comme parrain de la rébellion M23, laquelle sème les tensions dans la région du Kivu. Aucun accord n’a été officiellement publié à l’issue de ces échanges diplomatiques, ni par le Qatar, ni par les parties prenantes. Néanmoins, les échanges ont abouti à un appel au cessez-le-feu immédiat dans la région du Kivu. Ainsi, cela constitue probablement un pas vers la préparation d’un cadre consensuel en vue de l’organisation possible d’un dialogue direct entre le gouvernement Congolais et les rebelles du Mouvement M23. La rencontre de ce 18 mars au Qatar entre ces deux présidents marquent un tournant majeur pour la résolution des tensions entre la république démocratique du Congo et le Rwanda.  Rappelons qu’au mois de janvier 2025, le gouvernement Congolais a mis fin officiellement à sa coopération avec le Rwanda en appelant ses diplomates via l’Ambassade de la RDC au Rwanda, à cesser toutes les activités de coopération avec ce dernier. Cela a également été fait par le Rwanda qui a aussi fermé les portes de son ambassade au Congo Kinshasa, signe de la cessation officielle des relations diplomatiques.

Pourquoi le Qatar pourrait-il jouer un rôle important pour la stabilité du Kivu en menant une médiation entre la république démocratique du Congo et le Rwanda

Nous allons aborder ce point en nous concentrant sur un ancrage économique et l’appui aux politiques publiques de défense congolaise. Depuis les années 2006-2018, la république démocratique du Congo a signé plusieurs accords de coopération et surtout miniers avec la Chine et cela sous la présidence de Joseph kabila. Dès l’arrivée au pouvoir du président Félix Tshisekedi à 2019, la RDC a plutôt renforcé ses accords commerciaux et miniers avec les pays moyen-orientaux à particulier avec le Qatar et les Emirats Arabes Unis (EAU). Ces accords multisectoriels entre la RDC et le Qatar sont orientés spécifiquement vers le secteur minier et la construction d’infrastructures de transport. Pour la RDC, ces accords visent à diversifier les partenaires mais aussi attirer d’autres investisseurs publics et privés Qataris voire toucher d’autres pays du Moyen-Orient qui pourraient investir en république démocratique du Congo. Parmi les investisseurs majeurs pour le Congo dans la zone moyen-orientale, on peut notamment mentionner les Emirats Arabes Unies (EAU). Deux projets figurant dans les accords de coopération entre la RDC et le Qatar retiennent notre attention. Il s’agit de la construction du port de Banana (1) et l’exploitation minière en république démocratique du Congo par les entreprises primera group et primera mining (2).

(1) . La construction du port de Banana

 Depuis 2015, la République Démocratique du Congo a signé un accord avec les Emirats Arabes Unis et le Qatar pour la construction du port de Banana afin de faciliter les commerçants congolais dont certains voient leurs marchandises transitées par le port de pointe noire au Congo Brazzaville. Ce projet portuaire est donc crucial pour le service de transport des marchandises entre la RDC et le Congo Brazzaville. L’arrivée au pouvoir en 2019 du président Félix Tshisekedi n’a pas affecté la faisabilité de ce projet. Par principe de continuité, il reste inscrit dans les projets du gouvernement actuel en république démocratique du Congo. Selon les accords, les livrables sont attendus à la fin de cette année 2025. 

(2). L’exploitation minière en république démocratique du Congo par les entreprises primera group et primera mining

L’économie de rente constitue un pilier de l’économie Congolaise, notamment avec l’exploitation et la commercialisation des minerais comme l’Or, le cuivre, le cobalt, le coltan, etc. En conséquence, les Emirats Arabes Unies constituaient depuis plusieurs années le premier lieu de destination des minerais aurifères en provenance de la RDC. Ainsi, depuis le 10 décembre 2022, un accord minier a été signé entre la société minière congolaise “primera group” et le Qatar. Cet accord a conduit à une création de deux autres sociétés minières congolaises, notamment “Primera Gold et “Primera metals”. Ces dernières ont connu un grand succès, en particulier, en 2023, la société Primera Gold a signé un accord avec la raffinerie “Auric Hub Gold Refinery”, une raffinerie détenue par royal group de la famille émiratie, qui entretient des relations proches avec Doha.

Quid de l’accord entre le gouvernement Congolais et le Qatar sur les gisements du Kivu et l’importance de ces contrats miniers pendant ces moments de forte crise sécuritaire dans la région des grands-lacs.

A la date du 7 juillet 2023, le gouvernement Congolais à signer un autre accord avec le Qatar. Cet accord concerne un partenariat entre Qatar et la RDC pour l’exploitation des gisements aurifères du Kivu et du Maniema via la société minière congolaise “SAKIMA”,(SAKIMA= société des mines du Kivu et du Maniema). Cependant, le Qatar risque désormais de voir péricliter les bénéfices issus de ce contrat, car le kivu est largement occupé par les rebelles du M23. Ces derniers pillent les ressources minières du Kivu, notamment dans la zone minière de Rubaya, située dans le territoire de Masisi qui est sous leur contrôle. Ainsi, une question se pose : quelle est la place du Rwanda dans ce conflit et dans l’exploitation des minerais de la région du Kivu ?

En 2021, le gouvernement Congolais a signé un accord avec le Rwanda sur la question minière et surtout l’Or. Cet accord envisageait le raffinement de l’Or Congolais dans certaines raffineries au Rwanda. À la suite de la réapparition des tensions violentes dans la région du Kivu, qui sont orchestrées par les rebelles du M23 soutenu par le Rwanda, le gouvernement congolais s’est trouvé dans l’obligation de de rompre cet accord avec le Rwanda qui déstabilise la région du kivu en menaçant l’intégrité territoriale de la RDC, suite à sa volonté belliqueuse et ses appétits miniers.

Voyant ces tensions qui perdurent autour des minerais du Kivu, le pouvoir de Kinshasa cherche à mettre un terme aux flux d’exploitations minières du kivu vers le Rwanda. Pour y arriver, le gouvernement Congolais pourrait donc attribuer l’exclusivité d’exploitation minière dans le kivu aux sociétés “primera group et primera mining”, deux grandes sociétés travaillant à parfaite collaboration avec les émirats Arabes Unis (EAU) et le Qatar. Dans cet angle d’idées, le gouvernement congolais peut utiliser ce partenariat minier avec le Qatar pour trouver une solution durable de paix au conflit dans la région du Kivu. Avec une probable exclusivité de l’exploitation minière dans la région du Kivu sans passer par le Rwanda, cette mesure pourrait accroître les intérêts de la RDC et du Qatar dans la région du Kivu. Pour cela, le gouvernement Congolais peut donc se servir de ce partenariat minier en élargissant ses champs d’actions avec le Qatar et ainsi obtenir l’appui sur la protection sécuritaire de la zone du Kivu. 

Conclusion

La région du kivu en république démocratique du Congo a toujours été, depuis maintenant plus de 30 ans, un théâtre des opérations militaires. Après avoir disparu en 2012 et réapparus en novembre 2021, les rebelles du M23 ont désormais amplifié les tensions dans le grand Kivu. En conséquence, cette réapparition a causé des dégâts humanitaires énormes et des violations des droits humains, tout en freinant la cohésion et le développement de la région des grands-lacs. Alors que plusieurs localités du Kivu passent sous contrôle des rebelles du M23, il n’existe toujours pas, jusqu’à présent, un cadre sûr pour pallier durablement ce conflit du Kivu. Afin de tenter d’apporter une réponse à ce conflit, les organisations africaines ont pris certaines initiatives pour la protection de la région du Kivu. Parmi ces initiatives, on peut citer celles des organisations comme la communauté d’Afrique de l’Est (CAE), la communauté de développement d’Afrique Australe (SADC) et le processus de Luanda. Parmi toutes ces initiatives, le processus de Luanda semble être un levier priorisé par plusieurs acteurs de la sous-région pour traiter les causes profondes des tensions au Kivu. Ainsi, ce processus de Luanda devra donc faciliter un dialogue direct entre le gouvernement Congolais et les rebelles du M23. Cependant, l’état actuel du conflit n’a pas permis d’organiser toute éventuelle rencontre entre les parties prenantes. En revanche, la médiation du Qatar, ce 18 mars entre le président Tshisekedi et le président Paul Kagame, est un tournant majeur qui contribuera au retour du processus de Luanda afin de trouver une solution diplomatique à ce conflit du kivu.

Références

Battory, J., & Vircoulon, T. (avec Institut français des relations internationales). (2024). Quand le Congo rencontre le Moyen-Orient : La nouvelle diplomatie d’affaires de Kinshasa. Ifri.

Goma, RDC : Près de 3 000 personnes tuées après la prise d’une ville clé de l’est par les rebelles, selon l’ONU | CNN. (s. d.). Consulté 20 mars 2025, à l’adresse https://edition.cnn.com/2025/02/06/africa/dr-congo-goma-violence-deaths-intl-hnk/index.html

Lazar, M. (2013). L’émirat « hyperactif » : Une analyse de la politique d’internationalisation du Qatar. Confluences Méditerranée84(1), 59‑76. https://doi.org/10.3917/come.084.0059

Martin, G. (2025, janvier 31). The SAMIDRC Deployment : Peacekeeping or peace enforcement? defenceWebhttps://www.defenceweb.co.za/african-news/the-samidrc-deployment-peacekeeping-or-peace-enforcement/

 Rusamira, É. (2003). La dynamique des conflits ethniques au Nord-Kivu : Une réflexion prospective. Afrique contemporaine207(3), 147‑163. https://doi.org/10.3917/afco.207.0147

The DRC Conflict Enters a Dangerous New Phase – Africa Center. (s. d.). Consulté 20 mars 2025, à l’adresse https://africacenter.org/spotlight/drc-conflict-new-phase/

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